Notre image de l’URSS était fausse

auteur

Uwe Wirthwein

Voyageur
République démocratique allemande

Uwe Wirthwein a grandi dans le sud de la Thuringe, à Behrungen, à quelques encablures de la limite entre les deux Allemagnes. En raison du passage de la frontière, les trois-quarts du village étaient entourés par le « mur de protection antifasciste » est-allemand. Il fallait même un laissez-passer pour accéder au village. Ce sont la proximité de la frontière et le sentiment l’isolement qui ont fait naître chez Uwe un profond désir de liberté et d’aventure. Né dans la contrée la plus occidentale du bloc soviétique, il a profité de ses années d’étudiant pour entreprendre des voyages illégaux vers l’Est. Il a ainsi parcouru toutes les provinces de l’Union soviétique au cours d’un périple qui lui aura permis de se forger une image très fidèle de la vie dans cet état multiethnique. Arrêté à plusieurs reprises par des soldats alors qu’il jouait dans une forêt voisine, Uwe Wirthwein connaît une enfance dominée par la présence militaire et la surveillance. L’envie de quitter ce « bastion » s’installe donc progressivement mais très solidement chez lui. À l’université, il se lie d’amitié avec des étudiants partageant les mêmes points de vue, avec lesquels il organise des virées clandestines en Union soviétique. Munis de visas de transit, ils entrent en URSS via Moscou, puis rayonnent en direction de la toundra sibérienne, du Caucase pour gravir l’Elbrouz, point culminant d’Europe, ou du lointain Tadjikistan. Aujourd’hui, Uwe habite avec sa femme et ses trois enfants dans sa ville natale, dans une maison en torchis qu’il a lui-même construite. Il parle ouvertement des expériences vécues auprès de la frontière et du sentiment d’avoir surmonté les barrières.

Carte Postale

Union Soviétique, Irkutsk
104.3; 52.28
Recto de la carte postale, auteur: Uwe Wirthwein
Lac Baïkal
Cette carte postale envoyée depuis Irkoutsk montre le lac Baïkal. Le lac d’eau douce le plus ancien et le plus profond du monde est recouvert de glace de novembre à mars. Sa seule rivière, l’Angara, est le principal affluent du Ienisseï, qui se jette ensuite dans l’océan Arctique.
Verso de la carte postale, auteur: Uwe Wirthwein
Texte
09.03.88. Chers parents, cher Heiko ! On est dans un café, à Irkoutsk, et on est encore en train de transpirer. On est partis de Moscou en train il y a trois jours. Il y avait plein de choses à voir en route. La plupart du temps, le paysage était industriel et assez sale. Mais le mot industriel prend ici une tournure très particulière. On va essayer de rencontrer quelques personnes aujourd’hui avant de partir vers le lac Baïkal demain. C’est une destination touristique, donc ne vous inquiétez pas pour moi. Votre Uwe.
Behrungen
Uwe Wirthwein est né à quelques mètres de la frontière bavaroise. Entouré à 75 % par la frontière, ce village idyllique était étroitement surveillé par des gardes-frontière et des agents des services secrets. Enfant, Uwe Wirthwein a été arrêté à plusieurs reprises alors qu’il jouait dans la forêt voisine.
Etoile (rouge)
« L’étoile rouge à cinq pointes, utilisée dans ce cachet en tant que symbole de l'URSS, représente l’idéologie communiste. Sorte d’étoile de Bethlehem revisitée, elle est censée nous guider vers un nouveau monde sans classes. Différents mythes et théories s’affrontent concernant les raisons du choix de ce symbole. D’aucuns affirment qu’il s’agit d’une copie de celui des navigateurs anglais, tandis que d’autres estiment qu'on le doit au révolutionnaire russe Léon Trotski, qui se serait contenté de changer la couleur de l’étoile verte du mouvement espérantiste. Sur nombre de drapeaux de pays communistes, l’étoile apparaît en jaune sur fond rouge. »
Moscou - Irkoutsk
Irkoutsk est l’un des arrêts du Transsibérien, qui relie Moscou à Vladivostok. Irkoutsk se trouve à 5185 km de la capitale.
Irkoutsk
La ville d’Irkoutsk est située à quelque 70 km du lac Baïkal. Née à la fin du 17e siècle sous la forme d’une place forte cosaque, cette ville sibérienne acquiert une certaine notoriété culturelle avec l’insurrection des Décembristes. Ces opposants au régime tsariste d’Alexandre Ier militent pour l’abolition du servage, mais leur mouvement est durement réprimé. Certains sont assassinés et d’autres exilés en Sibérie, où ils continuent de diffuser leurs idées réformistes.

Archives Personnelles

Zone d’accès réglementé

Les trois-quarts de la ville de Behrungen étant entourés par la frontière entre la RDA et l’État libre de Bavière, ses habitants devaient cohabiter avec un très grand nombre de militaires.

Pays: République démocratique allemande / année:

Les trois-quarts de la ville de Behrungen étant entourés par la frontière entre la RDA et l’État libre de Bavière, ses habitants devaient cohabiter avec un très grand nombre de militaires. La vie dans le village thuringien était donc marquée par la présence permanente de garde-frontières et par l’isolement lié à son statut spécial de zone d’accès réglementé. Personne ne pouvait y entrer à condition qu’il ne dispose d’un laissez-passer spécifique. Uwe Wirthwein a toujours trouvé cet environnement à la fois confiné, opprimant et artificiel.

Prisonniers à Behrungen

Pour les jeunes habitants de Behrungen, il était très difficile d’étancher la soif d’aventure et de découverte propre à l'enfance dans un environnement aussi cloisonné.

Pays: République démocratique allemande / année:

Pour les jeunes habitants de Behrungen, il était très difficile d’étancher la soif d’aventure et de découverte propre à l'enfance dans un environnement aussi cloisonné. Zélés à l’excès, les 89 garde-frontières stationnés dans le village n’hésitaient pas à arrêter Uwe Wirthwein et son frère cadet chaque fois qu’ils allaient jouer dans la forêt voisine. Ils étaient ensuite conduits jusqu’au poste sous la menace d’une arme et réprimandés par la police militaire, qui appelait leurs parents pour les notifier de ce « délit ». À vrai dire, aucun texte officiel ne les interdisait de se trouver dans cette forêt. Ces expériences ont naturellement suscité l’envie d’échapper au plus vite à cette prison à ciel ouvert.

Rendez-vous au sommet

Uwe et ses amis ont gravi le mont Tian Shan, situé dans le Turkestan.

Pays: Union Soviétique / année:

Uwe et ses amis ont gravi le mont Tian Shan, situé dans le Turkestan. De 1984 à 1989, Uwe Wirthwein entreprend une série de sept voyages en Union soviétique avec l’objectif d'aller à la rencontre des gens dans leur habitat naturel. Ces périples étaient donc moins l’expression d’un mécontentement politique qu’une envie de découvrir de nouveaux horizons et de vivre des expériences inattendues.

Des risques qui paient

À 5 500 mètres, Uwe et ses amis fêtent la conquête du Tian Shan.

Pays: Union Soviétique / année:

À 5 500 mètres, Uwe et ses amis fêtent la conquête du Tian Shan. Cette expérience en altitude leur a permis de financer leur prochain séjour. En effet, ces jeunes ingénieurs se sont vus allouer une prime de risque par la société de construction Dresdner pour des prestations effectuées « en altitude, sans échafaudage ».

Rencontres

Tout au long de leurs différents périples, les étudiants ont pu rencontrer des habitants et connaître la vraie vie, très éloignée de la propagande soviétique.

Pays: Union Soviétique / année:

Tout au long de leurs différents périples, les étudiants ont pu rencontrer des habitants et connaître la vraie vie, très éloignée de la propagande soviétique. Sur place, ils étaient souvent surnommés les « nasch pribaltiki », c'est-à-dire « nos non-Baltes ». Cette appellation, tout comme leur apparence exotique, leur permettait de justifier la pauvreté de leur russe. Parmi les expériences inattendues qu’ils ont pu vivre, il faut noter une invitation spontanée à des funérailles où, en raison de la prohibition imposée par Gorbatchev, on ne consommait que du schnaps fait maison.

« Nous ne savions jamais quelle était la prochaine étape »

Leurs plongées dans l’inconnu étaient préparées en secret, avec des équipements faits maison.

Pays: Union Soviétique / année:

Leurs plongées dans l’inconnu étaient préparées en secret, avec des équipements faits maison. Par exemple, pour la promenade dans les fleuves de Sibérie, ils ont dû se baser sur de vieilles cartes militaires à la précision douteuse. Chaque participant a pu se procurer une partie des pièces nécessaires à la construction du bateau, sur laquelle ils ont travaillé dans un appartement libre de Dresde donnant sur une arrière-cour. En plus des 36 kg de bagages, chacun a ensuite emporté une pièce du bateau, qu’ils ont reconstruit sur place. Quant à l’éventualité d’un problème mécanique, elle n’a jamais été envisagée.

Un trou dans l’eau

Cette photo a été prise lors d’un voyage à bord d’un char à glace artisanal sur le lac Baïkal, étendue d’eau douce la plus profonde du monde (1642 mètres).

Pays: Union Soviétique / année:

Cette photo a été prise lors d’un voyage à bord d’un char à glace artisanal sur le lac Baïkal, étendue d’eau douce la plus profonde du monde (1642 mètres). À cette période de l’année, le lac est recouvert d’une couche de glace. Imitant les pêcheurs locaux, nos touristes ont creusé un trou dans la glace pour pêcher, mais n’ont sorti d’un petit poisson de quelques centimètres.

Un logo très « officiel »

Lors de la préparation du périple sibérien, Uwe avait été chargé de concevoir un logo.

Pays: République démocratique allemande / année:

Lors de la préparation du périple sibérien, Uwe avait été chargé de concevoir un logo. Celui imaginé par Uwe, qui figure en bas à droite de la photo, est en cyrillique et signifie « Sibir'89 ». Le « C » cyrillique, qui sonne comme un « S », est décoré avec un élan. Collé sur tous les équipements, des flotteurs aux vêtements en passant par les outils, le logo était censé octroyer un caractère officiel, donc légal, à leur expédition.

Dresde

Uwe a fait ses études à Dresde, où il a pu échapper à l’inactivité régnant dans la zone d’accès réglementé.

Pays: République démocratique allemande / année:

Uwe a fait ses études à Dresde, où il a pu échapper à l’inactivité régnant dans la zone d’accès réglementé. C’est là qu’il a commencé à se documenter et à s’engager politiquement. Un photographe avait reçu une autorisation officielle pour croquer les humeurs des passants dans les gares ferroviaires. Uwe et ses amis l’ont aidé à mettre en scène les photos, mais se sont fait menacer d'arrestation alors qu'ils avaient une permission officielle.

Voyage en bateau

Les lourds bagages d’Uwe et de ses amis sont regroupés à côté d’un outil indispensable : une caméra de 16 mm à l’aide de laquelle ils ont filmé leurs aventures uniques.

Pays: République démocratique allemande / année:

On les voit ici sympathiser avec Anton et son élan, construire un catamaran et entreprendre un long périple sur un fleuve. Un logo spécifiquement conçu par Uwe pour ce voyage apparaît de manière très visible sur les blousons. On peut y lire « Sibir'89 » en caractères cyrilliques, avec un C de grande taille orné d’un élan. Ce logo a été collé sur tous les équipements, des flotteurs aux vêtements en passant par les outils. On espérait ainsi donner un tour officiel, donc légal, à l’aventure.

Chars à glace

Les lourds bagages d’Uwe et de ses amis sont regroupés à côté d’un outil indispensable : une caméra de 16 mm à l’aide de laquelle ils filment leurs aventures uniques.

Pays: République démocratique allemande / année:

Les lourds bagages d’Uwe et de ses amis sont regroupés à côté d’un outil indispensable : une caméra de 16 mm à l’aide de laquelle ils filment leurs aventures uniques. Les jeunes ingénieurs ont monté le char à glace vu dans le clip en s’inspirant d’un dessin animé est-allemand. Ils se sont également documentés sur la question en lisant « Der junge Segler » (le jeune marin). Ces connaissances très superficielles leur ont permis de réussir leur traversée du lac Baïkal, le lac le plus profond du monde.